L’harmonie entre art et vitesse joue un rôle moteur dans l’univers d’Hervé Poulain. Né en France en 1940, la vie d’Hervé Poulain est dès le début marquée par la passion. Fervent amateur d’art et éminent commissaire-priseur, son amour de la beauté va façonner sa carrière.
Sa vie prend un tour palpitant lorsqu’il décide de combiner son amour de l’art et sa passion de la course automobile. Il troque alors son attaché-case pour un casque de course et participe à des courses prestigieuses, dont les 24 Heures du Mans (➜ Lire aussi : 24 heures qui donnent la chair de poule). Son engagement dans la course automobile est plus qu’un hobby, c’est une véritable quête.
En combinant ses deux passions, l’art contemporain et la vitesse, Hervé Poulain invente le concept des Art Cars en collaboration avec BMW (➜ Lire aussi : L’histoire de BMW Art Cars). Lors de ses participations aux 24 Heures du Mans, il confie la conception des voitures de course BMW à des artistes renommés tels que Alexander Calder, Frank Stella, Roy Lichtenstein et Andy Warhol. Ce concept visionnaire transforme le circuit de course en une galerie d’art mobile où vitesse et beauté se marient de façon spectaculaire.
À l’approche des 24 Heures du Mans, nous avons eu le privilège d’en apprendre plus sur la vie remarquable d‘Hervé Poulain lors d’une interview. Son itinéraire est marqué par une philosophie profonde et une volonté permanente de combiner beauté et action. Un itinéraire qu’il illumine de ses mots et de ses expériences.
Hervé Poulain revient sur ses motivations, qui trouvent leur inspiration dans la sagesse de Maupertuis, un philosophe du 18ème siècle. Il explique que la vie est fugace et qu’il est sage de profiter au maximum de l’intervalle séparant la naissance de la mort. Selon Hervé Poulain, il ne s’agit pas tant de laisser un héritage que de s’appliquer à bien remplir cet intervalle. Cette philosophie est pour lui un moteur. L’art satisfait sa soif de beauté tandis que la compétition automobile lui apporte la grandeur de l’action. Son motto personnel est : « La mort ne m'aura pas vivant. » À 83 ans, il est conscient de la finitude de la vie et l'aborde pourtant avec humour.
Hervé Poulain est surtout connu pour être à l’origine du projet BMW Art Car, qui lui a permis de combiner ses passions pour la vitesse et l’art contemporain. Sa participation aux 24 Heures du Mans témoigne de sa conviction que l’art peut sortir des musées et toucher le plus grand nombre. Selon Hervé Poulain, « Le mythe de cette course s’est construit autour du cycle cosmique du soleil, à la manière d’une métaphore de la vie humaine peuplée de joie et de drame. » La fascination du public pour les vitesses vertigineuses atteintes pendant cette course et pour le courage chevaleresque des pilotes, alors que la sécurité était encore rudimentaire les premières années des 24 Heures du Mans, donne à cet événement une dimension dramatique et vénérable.
L’initiative d’Hervé Poulain de marier sa passion avec le génie artistique d’Alexander Calder, qui créa une œuvre colorée et ludique pour la première BMW Art Car en 1975, a été déterminante. « Le succès et l’avenir du concept des Art Cars s’est joué grâce au choix de Calder », explique Hervé Poulain. Ce choix n’était pas juste un coup de pub. Nous voulions vraiment gagner. Les spectateurs le comprirent et devinrent d’ardents supporters de la BMW 3.0 CSL de Calder (➜ Lire aussi : Classic cars : les légendes de la passion BMW).
La collaboration d’Hervé Poulain avec BMW au début des années 1970 a lieu à un moment où la marque n’en est encore qu’à ses débuts dans le sport automobile. Il reconnaît que l’agilité et l’ouverture aux nouvelles idées dont a fait preuve BMW ont été déterminantes. « L’ouverture d’esprit de Jochen Neerpasch, mon seul interlocuteur, relevait du miracle », raconte-t-il. Neerpasch, alors directeur de BMW Motorsport, (➜ Lire aussi : M. Neerpasch, légende de BMW M et du sport automobile) est prêt à construire spécialement une voiture pour Hervé Poulain au Mans, ce qui constitue un tournant décisif.
La BMW 3.0 CSL 1975 d’Alexander Calder
Sur l’initiative d’Hervé Poulain, l’artiste américain Alexander Calder conçoit une BMW 3.0 CSL, le premier véhicule à marier art et sport automobile et le prélude de la collection BMW Art Car.
Cette première collaboration artistique avec Alexander Calder est scellée lors d’un déjeuner arrosé au Bordeaux Château La Conseillante à Saché, durant lequel Calder accepte de peindre la voiture pour Hervé Poulain. Un projet magique dès le début. Calder peint un modèle en jouet de la voiture sous les yeux d’Hervé Poulain, les couleurs insufflant une force dynamique au véhicule, et lui précise qu’il ne faudra rien changer lors du report. Interrogé sur la motorisation de la voiture lors de la conférence de presse, Hervé Poulain répond malicieusement qu’elle « ne marche qu’à la couleur », provoquant un silence suivi d’un grand rire. Les derniers mots d’encouragement de Calder au départ de la course, « Hervé, gagne, mais va doucement », résonnent dans l’esprit d’Hervé Poulain, qui éprouve le sentiment exaltant de réaliser le rêve de millions de gens.
La BMW 3.0 CSL 1976 de Frank Stella
Frank Stella, connu pour être le « père du minimalisme », opte pour une conception ressemblant à du papier millimétré surdimensionné. Près de 50 ans plus tard, Stella et ses cigares sont toujours présents dans la mémoire d‘Hervé Poulain.
L’année suivante, la BMW 3.0 CSL 1976 de Frank Stella apporte un contraste saisissant. Surnommée l’anti-Calder, cette voiture comporte des lignes noires sur un fond blanc, tel un voile suggérant plus qu’il ne révèle. Cette conception illustre ce que le public ne voit pas, la beauté mécanomorphe créée par les ingénieurs et les mécaniciens. Malgré ses 750 CV qui en font un monstre, cette voiture est fragile. Hervé Poulain se souvient de l’éternel cigare de Stella et des particularités techniques de la voiture. Son coéquipier, Peter Gregg, lui avait glissé ce sage conseil : « Fais attention, Hervé, c’est une voiture pour ingénieur, pas pour pilote. »
La BMW 320i Turbo 1977 de Roy Lichtenstein
Roy Lichtenstein a longuement étudié les 24 heures du Mans pour sa BMW Art Car et, selon ses propres termes, il s‘est efforcé d‘y consacrer le plus d‘efforts possible. Et cela a porté ses fruits.
En 1977, la BMW 320i Turbo de Roy Lichtenstein apporte au circuit de course un chef-d’œuvre absolu de Pop Art. Un lever et un coucher de soleil représentant le cycle du soleil pendant les 24 Heures du Mans s’étirent sur les flancs de la voiture. Lichtenstein a aussi utilisé les points typiques de son art, qui confèrent au véhicule une allure féline. Le vernissage de la voiture a lieu au musée Pompidou où, 47 ans plus tard, Julie Mehretu signera sa BMW M Hybrid V8 (➜ Lire aussi : La BMW Art Car de Julie Mehretu). Malgré sa modeste motorisation de deux litres, l’agilité de la voiture sous la pluie compense : elle arrive comme neuvième au classement général et première de sa catégorie. Hervé Poulain se souvient de la connivence avec son coéquipier, Marcel Mignot, qu’il décrit comme « un roc ».
La BMW M1 1979 d’Andy Warhol
« J’ai essayé de représenter visuellement la vitesse. Quand une voiture va très vite, toutes les lignes et les couleurs se brouillent. » – Andy Warhol
Le point culminant de cette aventure artistique est la BMW M1 1979 d’Andy Warhol. Après avoir refusé deux projets initiaux l’invitant à peindre « quelques Marilyn », Warhol vient à Munich et réalise une Action painting expressionniste, genre « bad painting », directement sur la voiture en seulement 28 minutes. Lors de son premier relais au Mans, Hervé Poulain fait un tête-à-queue maîtrisé sans caler et s’exclame « olé ! ». La BMW M1 arrive 6e au classement général et 2e de sa catégorie.
Ces récits d’Hervé Poulain offrent un regard fascinant sur cette alliance unique de l’art et du sport automobile. Ses collaborations avec Calder, Stella, Lichtenstein et Warhol entre 1975 et 1979 n’ont pas seulement donné naissance à des Art Cars légendaires, mais ont également créé un héritage qui continue à inspirer. Chaque voiture, chaque course et chaque artiste ont apporté une nouvelle dimension au concept de l’Art Car : une toile mouvante, une œuvre d’art et un témoignage de la créativité débordante et de l’esprit audacieux d’Hervé Poulain.
La participation continue d’Hervé Poulain au jury BMW Art Car et sa présence lors du vernissage à Paris de la vingtième BMW Art Car conçue par Julie Mehretu le comblent de joie. « C’est une fierté qu’un demi-siècle plus tard, cette vision demeure plus vivante que jamais », fait-il remarquer. Il regrette toutefois que les noms des pilotes qui ont fait vivre ces voitures soient souvent tombés dans l’oubli. Hervé Poulain insiste sur le fait que l’expérience des pilotes et les risques qu’ils ont pris font partie de l’héritage des Art Cars et appelle à corriger ce manque de reconnaissance.
Vive l’art ! Vive la vitesse ! Vive BMW, mon partenaire d’élite !
Pour Hervé Poulain, l’art et la course sont des cadeaux offerts au public. Il considère que l’art comble le silence infini des dieux et que la course lui a permis de lutter contre sa finitude et de profiter d’instants d’accomplissement et de joie intense. « Vive l’art ! Vive la vitesse ! Vive BMW, mon partenaire d’élite ! », s’exclame-t-il, résumant ainsi sa passion durable et le lien profond qui unit l’art et l’action dans sa vie extraordinaire.
Auteure : Tassilo Hager, Maryse Bataillard ; Art : Madita O’Sullivan, Lucas Lemuth, Verena Aichinger ; Photos : BMW ; Vidéo : BMW ; Collages : Max-o-matic